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mercredi, 1 septembre 2021

La remise en cause de la convention de forfait n'est plus sans risque

Cour de cassation, Chambre sociale, 6 janvier 2021

Cet arrêt constitue un premier coup de tonnerre dans le ciel serein de la remise en cause des conventions de forfait en jours.

Depuis de nombreuses années, une bataille judiciaire se déroule autour de la remise en cause des conventions de forfait en jours. Celles-ci sont passées du stade de conventions permettant à l'employeur d'extraire certains salariés du décompte de leur temps de travail à celles de conventions dont le régime est soumis à de si nombreuses conditions, tant au niveau des conventions collectives, du contrat de travail que des conditions d'exécution du forfait, qu'il est fréquent de les voir être annulées.

Or en cas de remise en cause du forfait, les salarié-e-s peuvent réclamer paiement de l'intégralité des heures effectuées au delà de 35 heures par semaine (sous réserve de prescription).

L'employeur est, pour sa part, réduit à contester les conditions de reconstitution des heures effectuées, que, par définition, il ne contrôlait pas.

Le présent arrêt de la Cour de cassation avalise, pour la première fois, un nouveau moyen de défense de l'employeur : Si la convention de forfait en jours est remise en cause, l'employeur peut légitimement demander remboursement des jours de réduction du temps de travail qui constituent la contrepartie du forfait en jours.

Ainsi les demandes d'heures supplémentaires des salarié-e-s seront, en tout ou partie, compensées par la demande de remboursement de jours de réduction par l'employeur.

Présenter une demande au titre de la remise en cause du forfait jours n'est donc plus sans risque pour les salarié-e-s qui doivent analyser finement les conséquences d'une telle demande.

L'employeur ne peut, pour sa part, demander la remise en cause du forfait si les salarié-e-s ne le font pas, car "nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude" (nemo auditur propriam turpitudinem allegans).

lundi, 20 avril 2020

Sur quel salaire de référence est calculé l'indemnité que touche le salarié ?

Ce billet est très largement inspiré d'une très bonne analyse de Me Vincent Maurel

La décision de recourir massivement au dispositif d'indemnisation de l'activité partielle prévue par le code du travail, le gouvernement doit répondre à l'adaptation du mécanisme à la situation de chaque entreprise.

Le gouvernement a fait le choix d'édicter des normes très générales puis d'en préciser l'interprétation qu'en fait l'administration pour les appliquer.

En matière d'activité partielle le décret de référence a été édicté le 25 mars 2020 et laisse tant de points en suspens que l'interprétation ministérielle a pris la forme d'une vomumineuse fiche de questions-réponses régulièrement modifiée ou complétée.

On ne peut que regretter que la production de la norme se fasse de manière aussi désordonnée et mouvante en totale contradiction avec l'objectif régulièrement affiché des pouvoirs institutionnels de développer l'intelligibilité et la stabilité des normes juridiques.

Ainsi, depuis le 10 avril, apparaît sur le document la mention de ce que les travailleurs dont le contrat prévoit un forfait d'heures supplémentaires compris dans la durée du travail mensuelle et son salaire, ne verront leur indemnité calculée que sur la base de leur salaire sans heures supplémentaires.

Pour résumer :

  • Jusqu’à présent pour les salariés qui avaient une durée du travail supérieure à 35h, on prenait le salaire global (35h + HS) et on divisait par 151.67h pour trouver un taux horaire et le salarié percevait 70 % de ce taux horaire brute.
  • A compter du 10/04, l’administration indique qu’il convient de retirer de l’assiette les HS et leur majoration pour trouver le taux horaire dont le salarié va percevoir 70 % en application de ce document.

Or, cette interprétation est très contestable.

  • 1. Rappel des textes légaux en vigueur

- L'article R.5122-11 du Code du Travail énonce :

« Les heures non travaillées au titre de l'activité partielle font l'objet du versement de l'allocation dans la limite de la durée légale ou, lorsqu'elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat sur la période considérée. Au-delà de la durée légale ou, lorsqu'elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat sur la période considérée, les heures non travaillées au titre de l'activité partielle sont considérées comme chômées mais n'ouvrent pas droit au versement par l'Etat à l'employeur de l'allocation d'activité partielle et au versement par l'employeur au salarié de l'indemnité prévues à l'article L. 5122-1 ».

- L'article R 5122-18 du Code du travail énonce :

Le salarié placé en activité partielle reçoit une indemnité horaire, versée par son employeur, correspondant à 70 % de sa rémunération brute servant d'assiette de l'indemnité de congés payés telle que prévue au II de l'article L. 3141-24 ramenée à un montant horaire sur la base de la durée légale du travail applicable dans l'entreprise ou, lorsqu'elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat de travail.

  • 2. L’interprétation jusqu’au 10/04/2020 pour les heures supplémentaires

Les textes relatif à l'indemnité font référence à l’assiette de l’indemnité de congés payés selon la règle du maintien de salaire. Selon cette règle du maintien, la rémunération prise en compte est celle "que le salarié aurait perçue s'il avait continué à travailler". Selon Les dispositions de l'article L.3141-24 II du Code du travail, elle se calcule donc en fonction :

  • « du salaire gagné pour la période précédant immédiatement le congé », cette période s’entendant comme le mois précédant le congé ; Cass soc, 23 janv. 2001, n° 98-45725
  • « de la durée du travail effectif de l’établissement.

Les heures supplémentaires qui auraient été effectuées par le salarié s’il avait travaillé sont à prendre en compte dans le calcul de l’assiette des congés payés. Cass soc, 2 juin 1988, n° 85-41200.

En pratique, Il doit s’agir d’heures supplémentaires structurelles, qui sont la conséquence d'une augmentation réelle et permanente de la durée de travail.

Ainsi doit être pris en compte un horaire de 54 heures pour des travaux de nettoyage pendant les 3 mois d'été, au lieu de l'horaire habituel de 45 heures, ce dépassement étant considéré comme permanent. Cass soc, 17 oct. 1962, n° 61-40221

En revanche, n’est pas pris en compte le dépassement d’horaire résultant d’un besoin pour remplacer des employés partis en congés payés (Cass soc, 23 oct. 1963, n° 62-40800).

Dès lors, l’assiette de calcul de l’indemnité de congés payés (règle du maintien de salaire) est donc le salaire de base, ainsi que les heures supplémentaires « structurelles » ou « habituelles » et leur majoration.

Jusqu’au 10/04/2020 il était donc considéré (sauf pour certaines branches qui avaient une position contraire telle le BTP) que les heures supplémentaires structurelles devaient être prises en considération dans la base de calcul laquelle était divisée par 151.67 pour « ramener » à un montant horaire sur la base de la durée légale du travail

Telle était du reste la position de l’administration dans le cadre de la circulaire du 12 juillet 2013 n°2013-12 dont la fiche 6 était applicable jusqu’au 10 avril dernier.



6.1 L’indemnité versée par l’employeur au salarié L’indemnité due par l’employeur au salarié est calculée, pour les heures chômées ouvrant droit au versement de cette indemnité, sur la base de 70% de la rémunération brute du salarié, servant d’assiette à l’indemnité de congés payés telle que prévue au II de l’article L.3141-22 du code du travail, ramenée à un montant horaire sur la base de la durée légale du travail applicable dans l’entreprise ou, lorsqu’elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat de travail.

L’assiette des indemnités de congés payés inclut le salaire brut avant déduction des charges sociales, les majorations pour travail supplémentaire, les avantages en nature dont le travailleur ne continuerait pas à jouir pendant la durée de son congé, les pourboires, les primes et indemnités versées en complément du salaire si elles sont versées en complément du travail et si elles ne rémunèrent pas déjà la période des congés (primes annuelle assise uniquement sur le salaire des périodes de travail, exclusion faite de la période des congés payés, primes compensant une servitude de l’emploi, primes liées à la qualité du travail).


  • 3. La position de l’administration dans le cadre du « Question/Réponse » modifié le 10 avril 2020

Les heures supplémentaires même structurelles (convention de forfait, durée collective supérieure à 35h, ...) ainsi que leurs majorations ne sont pas prises en compte dans l’assiette de l’IAP puisqu’elles ne sont pas indemnisables au titre de l’activité partielle.

L’administration préconise donc d’exclure de l’assiette de calcul le salaire et majoration de salaire versé au titre des heures supplémentaires.

L’extrait fiche 6 ci-dessus rappelé a été purement et simplement supprimé en parallèle de la mise en ligne de la FAQ du 10/04.

Ainsi le salarié contractualisé à 39 H (forfait durée légale + 4 heures supplémentaires) ne percevra donc qu'environ 60% de son brut et non 70%.

Malgré le caractère illégal d'une telle position, il est probable qu'elle sera néanmoins appliqué puisqu'elle ne pénalise que le salarié et que ce dernier ne dispose que de peu de recours efficace en la matière à l'heure actuelle.

jeudi, 28 mars 2019

Solde de tout compte : de l'intérêt de le dénoncer (ou de ne pas le signer)

Cour de cassation - chambre sociale - 13 mars 2019

Cet arrêt important revient sur la portée du solde de tout compte.

Jusqu'alors les praticiens n'accordait pas grande attention à ce document signé par le salarié après la perception des dernières sommes dues par l'employeur après la rupture du contrat de travail.

La jurisprudence considérait en effet que sa signature ne valait reconnaissance que des montants qui y étaient expressément visés.

Ainsi sa signature n'était que la preuve du paiement des sommes mais n'interdisait pas de porter réclamation en justice pour obtenir, par exemple, paiement d'heures supplémentaires non payées.

Par cet arrêt, la Cour de cassation énonce un principe beaucoup plus strict. Dans l'hyptothèse où le solde de tout compte qui mentionnait une somme "de 1 956, 40 euros se décomposant comme suit - « salaire brut : 977,87 ; indemnités congés payés : 1383,42 et indemnités repas : 104,80 », elle approuve la Cour d'appel d'avoir débouté le salarié d'une demande en paiement d'heures supplémentaires.

En effet elle considère que le reçu pour solde de tout compte présentait un effet libératoire pour les sommes versées à titre de salaire et que les demandes d'heures supplémentaires étant des salaires, le salarié était irrecevable à les réclamer.

Au vu de cette solution, les employeurs sont encouragés à faire signer et vérifier le retour d'un reçu pour solde de tout compte qui les protégera contre une partie des réclamations potentielles du salarié.

Les salariés sont encouragés à dénoncer le reçu dans les 6 mois suivant sa signature, voire à ne pas le signer puisque cette absence de signature n'est pas, à ce jour, sanctionnée par la jurisprudence (attention tout de même car un arrêt de la Cour de cassation en ce sens n'est pas à écarter désormais que la portée du reçu est étendue).

lundi, 3 décembre 2018

Cinq ans d'heures de travail non payées ne suffisent pas à motiver la rupture du contrat par le salarié

Cour de cassation - chambre sociale - 14 novembre 2018

Cet arrêt illustre la tendance constatée depuis plusieurs années au sein de la jurisprudence de la Cour de cassation visant à restreindre le plus possible le domaine de la prise d'acte du contrat de travail.

Cette technique, pourtant inventée par la jurisprudence, permettait au salarié confronté à un comportement fautif de son employeur de rompre son contrat de travail unilatéralement. Les juges, saisis des conséquences de cette rupture, doivent alors arbitrer entre la qualification de démission ou de licenciement sans cause réelle et sérieuse; selon que les manquements à l'origine de la rupture pouvaient ou non être prouvés par le salarié.

Le premier frein à cette possibilité pour le salarié de rompre ainsi son contrat aux torts de l'employeur vint de Pole emploi. L'organisme considère, en effet que le salarié doit être considéré, au regard des prestations sociales, comme un salarié démissionnaire.

La jurisprudence a, ensuite, ajouté une condition à la possibilité de qualifier la rupture comme imputable à l'employeur en exigeant que la faute de l'employeur soit d'une gravité suffisante.

Sans aucun repère objectif, les salariés et employeurs se trouvaient ainsi entièrement aux mains de l'appréciation souveraine des juges du fond quant à la définition de la gravité suffisant à passer d'une rupture ayant les effets d'une démission à celle ayant les conséquences d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation a alors rendu régulièrement des arrêts visant à tracer cette limite.

Force est de constater que le territoire de la faute justifiant que la rupture soit considérée comme ayant les conséquences d'une rupture sans cause réelle et sérieuse n'a cessé de se restreindre.

Les salariés confrontés à ces situations doivent donc réfléchir à deux fois avant de prendre une décision unilatérale irréversible...

Le présent arrêt en est une belle illustration puisque la Cour de cassation considère que le non-paiement, pendant plusieurs années, de temps de travail du salarié n'est pas suffisamment grave dès lors que le salarié n'avait pas contesté sa rémunération pendant plusieurs années.

Il n'existe aujourd'hui quasiment plus de circonstances permettant d'entretenir l'espoir raisonnable de voir mettre à la charge de l'employeur les conséquences d'une prise d'acte de la rupture du contrat de travail d'un salarié, même en présence de manquements essentiels comme celui du paiement du salaire.

jeudi, 16 novembre 2017

Si t'as le forfait, même nul, t'es pas dirigeant !

Cour de cassation - chambre sociale - 7 septembre 2017

Cet arrêt apporte un intéressant éclairage sur le contentieux du temps de travail des cadres.

Un cadre remettait en cause la validité de la convention de forfait en jours qu'il avait conclu, au motif de l'absence de mise en place des garanties de suivi du temps de travail permettant d'éviter que la liberté d'organisation du salarié ne mette sa santé en danger.

La convention étant annulée, il réclamait paiement des heures supplémentaires effectuées chaque semaine.

L'employeur conteste la condamnation en tentant de démontrer que même si la convention de forfait était nulle, le salarié ne pouvait réclamer d'heures supplémentaires car il présentait les caractéristiques d'un cadre dirigeant, l'excluant ainsi de la réglementation sur le temps de travail en application des dispositions de l'article L 3111-2 du code du travail.

La Cour de cassation refuse de rentrer dans ce raisonnement et indique qu'à partir du moment où le salarié et l'employeur avaient convenu d'une convention de forfait en jours, cet accord s'opposait à toute reconnaissance du statut de cadre dirigeant.

La solution est assez atypique sur le plan juridique puisqu'elle refuse le droit de qualifier une relation contractuelle au motif de la conclusion d'un accord qui a pourtant été annulé.

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