Blog de Me Antoine BON, Avocat, Strasbourg. Informations et débats autour du droit du travail : réglementation, embauche, exécution, conditions de travail, santé au travail, harcèlement, salaire, temps de travail, heures supplémentaires, licenciement, prise d'acte de la rupture du contrat de travail, contrats précaires, CDD, CDI, intérim, requalification, procédure prud'hommale... 5 allée d'Helsinki 67300 SCHILTIGHEIM - 03 90 20 81 40

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COVID 19

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lundi, 20 avril 2020

La rupture conventionnelle en période COVID

L'état d'urgence sanitaire déclaré en France par la loi du 23 mars 2020 n'a pas entrainé de modification du dispositif de la rupture conventionnelle prévue aux article L 1237-11 et suivants du code du travail.

Sa mise en oeuvre dans la période actuelle pose cependant un certain nombre de problèmes.

Le recours à la rupture conventionnelle en période d'Etat d'Urgence Sanitaire

La jurisprudence a déjà statué sur le fait qu'il peut être recouru à la rupture conventionnelle, même en période de suspension du contrat de travail, y compris liée à un accident ou une maladie professionnelle, et même en cas d'inaptitude.

Attention cependant si l'entreprise a sollicité le mécanisme de l'activité partielle, celle-ci est assortie d'engagements de l'employeur, il conviendra de vérifier que ces engagements n'emportent pas interdiction de procéder à des ruptures de contrat de travail pendant la période concernée. Cela pourrait remettre en cause l'ensemble des avantages associés au mécanisme.

Il n'y aurait donc, en principe, pas d'obstacle à la conclusion d'une rupture conventionnelle même en période d'activité partielle ou d'arrêt maladie.

La Rupture conventionnelle individuelle en pratique

1. Entretien

En pratique le recueil du consentement du salarié et son information préalable nécessitera tout de même certaines précautions.

En premier lieu, il conviendra de s'assurer que les perturbations du service postal n'ont pas empêché les parties de s'informer pleinement et de donner leur consentement.

En second lieu, on notera qu'aucune mesure gouvernementale n'interdit la réalisation d'un entretien physique de rupture conventionnelle.

De surcroit, la jurisprudence considère encore aujourd'hui que l'entretien physique ne peut être remplacé par un entretien téléphonique. Si la doctrine et l'évolution générale des textes laisse penser que la jurisprudence assouplira sa position, mais rien n'est moins sur !

Passé cet écueil, le document sera signé par les parties, chacune gardant un exemplaire original.

2. Délai de rétractation

Commence alors le délai de rétractation des parties.

Or l'Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période prévoyait, dans son article 2, que "tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois."

La question pourrait donc se poser de savoir si le délai de rétractation ne doit pas s'analyser comme un délai pendant lequel doit être effectué un acte (la rétractation) pour permettre de ne pas être engagé par le contrat.

Si l'on retient cette interprétation, on devrait donc considérer que les parties auraient quinze jours à compter du 25 juillet pour exercer leur droit de rétractation (deux mois après la fin de l'EUS actuellement prévue au 25 mai) pour se rétracter d'une rupture conventionnelle conclue pendant l'Etat d'Urgence Sanitaire.

C'est également la position qu'avaient retenu plusieurs DIRECCTE pendant le mois de mars.

Heureusement est arrivée l'ordonnance du 15 avril 2020 dont l'article 2 modifie l'article l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 sur ce point.

Elle précise que le délai de rétractation de la rupture conventionnelle n'a pas été suspendu par l'ordonnance initiale.

Elle ajoute qu'il s'agit d'une précision interprétative. Cela veut dire que cette précision a vocation à être rétroactive.

La question est donc censée avoir été réglée.

Il n'en demeure pas moins que si l'ajout devait être considéré comme n'apportant pas une simple interprétation mais une modification du droit, il serait possible de soutenir que les ruptures conventionnelles conclues avant le demeurent soumises à la possibilité d'une rétractation après l'état d'urgence sanitaire.

Peut être les tribunaux seront-ils saisis du litige...

3. Homologation

Une fois le délai expiré, la partie la plus diligente peut adresser la rupture conventionnelle à la DIRECCTE. Celle-ci dispose d'une délai de 15 jours pour accepter ou refuser d'homologuer la rupture. L'absence de réponse de l'administration dans ce délai créé une décision implicite d'homologation.

En pratique les entreprises adressent la demande d'homologation et reçoivent un courrier leur indiquant qu'à défaut de décision expresse contraire, l'homologation sera acquise quinze jours après.

Là encore l'Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période a suspendu certains délais, dont celui dans lequel naissent les décisions implicites de l'administration.

On imaginait que ce problème serait réglé, comme pour le délai de rétractation, par une précision dans l'ordonnance du 15 avril 2020. Il n'en n'a rien été alors que l'administration était informée de l'existence du problème juridique. Il s'agit donc d'un arbitrage délibéré de la part du gouvernement.

Ainsi la rupture conventionnelle d'un contrat de travail en période d'épidémie demeure soumise à une décision expresse d'homologation de l'administration.

En l'absence d'une telle décision, le contrat n'est pas rompu.

Il convient donc d'attirer l'attention des parties sur l'impossibilité de prévoir avec certitude le délai de rupture du contrat de travail qui dépendra du bon vouloir de la DIRECCTE.

Sur quel salaire de référence est calculé l'indemnité que touche le salarié ?

Ce billet est très largement inspiré d'une très bonne analyse de Me Vincent Maurel

La décision de recourir massivement au dispositif d'indemnisation de l'activité partielle prévue par le code du travail, le gouvernement doit répondre à l'adaptation du mécanisme à la situation de chaque entreprise.

Le gouvernement a fait le choix d'édicter des normes très générales puis d'en préciser l'interprétation qu'en fait l'administration pour les appliquer.

En matière d'activité partielle le décret de référence a été édicté le 25 mars 2020 et laisse tant de points en suspens que l'interprétation ministérielle a pris la forme d'une vomumineuse fiche de questions-réponses régulièrement modifiée ou complétée.

On ne peut que regretter que la production de la norme se fasse de manière aussi désordonnée et mouvante en totale contradiction avec l'objectif régulièrement affiché des pouvoirs institutionnels de développer l'intelligibilité et la stabilité des normes juridiques.

Ainsi, depuis le 10 avril, apparaît sur le document la mention de ce que les travailleurs dont le contrat prévoit un forfait d'heures supplémentaires compris dans la durée du travail mensuelle et son salaire, ne verront leur indemnité calculée que sur la base de leur salaire sans heures supplémentaires.

Pour résumer :

  • Jusqu’à présent pour les salariés qui avaient une durée du travail supérieure à 35h, on prenait le salaire global (35h + HS) et on divisait par 151.67h pour trouver un taux horaire et le salarié percevait 70 % de ce taux horaire brute.
  • A compter du 10/04, l’administration indique qu’il convient de retirer de l’assiette les HS et leur majoration pour trouver le taux horaire dont le salarié va percevoir 70 % en application de ce document.

Or, cette interprétation est très contestable.

  • 1. Rappel des textes légaux en vigueur

- L'article R.5122-11 du Code du Travail énonce :

« Les heures non travaillées au titre de l'activité partielle font l'objet du versement de l'allocation dans la limite de la durée légale ou, lorsqu'elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat sur la période considérée. Au-delà de la durée légale ou, lorsqu'elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat sur la période considérée, les heures non travaillées au titre de l'activité partielle sont considérées comme chômées mais n'ouvrent pas droit au versement par l'Etat à l'employeur de l'allocation d'activité partielle et au versement par l'employeur au salarié de l'indemnité prévues à l'article L. 5122-1 ».

- L'article R 5122-18 du Code du travail énonce :

Le salarié placé en activité partielle reçoit une indemnité horaire, versée par son employeur, correspondant à 70 % de sa rémunération brute servant d'assiette de l'indemnité de congés payés telle que prévue au II de l'article L. 3141-24 ramenée à un montant horaire sur la base de la durée légale du travail applicable dans l'entreprise ou, lorsqu'elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat de travail.

  • 2. L’interprétation jusqu’au 10/04/2020 pour les heures supplémentaires

Les textes relatif à l'indemnité font référence à l’assiette de l’indemnité de congés payés selon la règle du maintien de salaire. Selon cette règle du maintien, la rémunération prise en compte est celle "que le salarié aurait perçue s'il avait continué à travailler". Selon Les dispositions de l'article L.3141-24 II du Code du travail, elle se calcule donc en fonction :

  • « du salaire gagné pour la période précédant immédiatement le congé », cette période s’entendant comme le mois précédant le congé ; Cass soc, 23 janv. 2001, n° 98-45725
  • « de la durée du travail effectif de l’établissement.

Les heures supplémentaires qui auraient été effectuées par le salarié s’il avait travaillé sont à prendre en compte dans le calcul de l’assiette des congés payés. Cass soc, 2 juin 1988, n° 85-41200.

En pratique, Il doit s’agir d’heures supplémentaires structurelles, qui sont la conséquence d'une augmentation réelle et permanente de la durée de travail.

Ainsi doit être pris en compte un horaire de 54 heures pour des travaux de nettoyage pendant les 3 mois d'été, au lieu de l'horaire habituel de 45 heures, ce dépassement étant considéré comme permanent. Cass soc, 17 oct. 1962, n° 61-40221

En revanche, n’est pas pris en compte le dépassement d’horaire résultant d’un besoin pour remplacer des employés partis en congés payés (Cass soc, 23 oct. 1963, n° 62-40800).

Dès lors, l’assiette de calcul de l’indemnité de congés payés (règle du maintien de salaire) est donc le salaire de base, ainsi que les heures supplémentaires « structurelles » ou « habituelles » et leur majoration.

Jusqu’au 10/04/2020 il était donc considéré (sauf pour certaines branches qui avaient une position contraire telle le BTP) que les heures supplémentaires structurelles devaient être prises en considération dans la base de calcul laquelle était divisée par 151.67 pour « ramener » à un montant horaire sur la base de la durée légale du travail

Telle était du reste la position de l’administration dans le cadre de la circulaire du 12 juillet 2013 n°2013-12 dont la fiche 6 était applicable jusqu’au 10 avril dernier.



6.1 L’indemnité versée par l’employeur au salarié L’indemnité due par l’employeur au salarié est calculée, pour les heures chômées ouvrant droit au versement de cette indemnité, sur la base de 70% de la rémunération brute du salarié, servant d’assiette à l’indemnité de congés payés telle que prévue au II de l’article L.3141-22 du code du travail, ramenée à un montant horaire sur la base de la durée légale du travail applicable dans l’entreprise ou, lorsqu’elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat de travail.

L’assiette des indemnités de congés payés inclut le salaire brut avant déduction des charges sociales, les majorations pour travail supplémentaire, les avantages en nature dont le travailleur ne continuerait pas à jouir pendant la durée de son congé, les pourboires, les primes et indemnités versées en complément du salaire si elles sont versées en complément du travail et si elles ne rémunèrent pas déjà la période des congés (primes annuelle assise uniquement sur le salaire des périodes de travail, exclusion faite de la période des congés payés, primes compensant une servitude de l’emploi, primes liées à la qualité du travail).


  • 3. La position de l’administration dans le cadre du « Question/Réponse » modifié le 10 avril 2020

Les heures supplémentaires même structurelles (convention de forfait, durée collective supérieure à 35h, ...) ainsi que leurs majorations ne sont pas prises en compte dans l’assiette de l’IAP puisqu’elles ne sont pas indemnisables au titre de l’activité partielle.

L’administration préconise donc d’exclure de l’assiette de calcul le salaire et majoration de salaire versé au titre des heures supplémentaires.

L’extrait fiche 6 ci-dessus rappelé a été purement et simplement supprimé en parallèle de la mise en ligne de la FAQ du 10/04.

Ainsi le salarié contractualisé à 39 H (forfait durée légale + 4 heures supplémentaires) ne percevra donc qu'environ 60% de son brut et non 70%.

Malgré le caractère illégal d'une telle position, il est probable qu'elle sera néanmoins appliqué puisqu'elle ne pénalise que le salarié et que ce dernier ne dispose que de peu de recours efficace en la matière à l'heure actuelle.

vendredi, 3 avril 2020

Pendant l'épidémie, la médecine du travail est en charge de la lutte contre la propagation du virus auprès des salariés et des entreprises

[Ordonnance no 2020-386 du 1er avril 2020 adaptant les conditions d’exercice des missions des services de santé au travail à l’urgence sanitaire et modifiant le régime des demandes préalables d’autorisation d’activité partielle|https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000041776887]

Par ce Décret, le gouvernement entend réglementer l'exercice des missions de la Médecine du Travail pendant la durée de l'Etat d'Urgence Sanitaire.

Le gouvernement ajoute à la mission de la médecine du travail, celle de participer à la lutte contre la propagation du virus.

Il permet aux médecins du travail de délivrer directement des arrêts de travail aux salariés (ils relèvent en principe du médecin traitant) et procéder à des test de dépistage de la maladie.

Le décret ouvre également à la médecine du travail la possibilité de reporter les examens d'embauche et de suivi et de décaler leurs interventions en entreprises.

jeudi, 2 avril 2020

Au milieu de l'urgence, la création d'une base de donnée pour nourrir l'intelligence artificielle

Décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust »

EDIT : Décision sur QPC du Conseil Constitutionnel du 3 avril 2020

  • Un étonnant décret créant une nouvelle base de données en pleine urgence sanitaire

L’urgence sanitaire à laquelle le pays fait face, outre son impact humain et social a donné lieu à un bouleversement juridique et institutionnel mettant entre les mains du gouvernement l’ensemble des pouvoirs pour le temps de la crise et instaurant des restrictions inédites aux libertés publiques.

Il est tout à fait étonnant, en ce moment historique, de lire la publication au Journal Officiel du 29 mars 2020 d’un décret du Premier Ministre portant création d’un traitement de données à caractère personnel dénommé « DataJust ». Ce qui n’a pas manqué de créer un certain émoi jusqu’au sein de la profession d’avocats|.

Ce projet est l’un des avatars d’une grande initiative lancée par le Président de la République en 2016 et montée en puissance en 2018 et 2019, le Groupement d’Intérêt général, structure finançant l’association de chercheurs privés aux projets du gouvernement.

Le projet DataJust semble avoir vu le jour en 2017, à l’occasion du Projet de réforme de la Responsabilité Civile et répond à deux objectifs : d’une part trouver une solution à l’absence problématique de référence objective consensuelle en matière d’évaluation du préjudice corporel qui aboutit à des disparités de traitement selon les juridictions appelées à statuer et, d’autre part, à l’obsession gouvernementale pour la dématérialisation et l’automatisation des processus dans une quête effrénée de gain de productivité au sein de son administration (produire plus avec moins de personnel).

Si les différents acteurs de la chaîne judiciaire, dont les avocats, arrivaient à s’accommoder, bon gré mal gré, de l’absence de référentiel objectif par la connaissance directe de l’activité et de la jurisprudence des juridictions ; la situation actuelle apparait de plus en plus problématique au fur et à mesure du développement par le secteur privé (dont des avocats ou d’anciens magistrats encouragés à réorienter leurs activités vers des domaines plus rentables) d’outils de traitement informatiques permettant de dégager des tendances statistiques et probabilistes d’un niveau de pertinence jamais connu auparavant.

Ces outils procèdent par analyse de quantités gigantesques de jugements, échappant aux capacités humaines de traitement. Ils sont développés par des sociétés privées qui gardent jalousement le secret des traitements effectués et des processus leur permettant de produire ces résultats.

L’accès à ces outils (qui peut présenter un coût hors de proportion avec les ressources d’un intervenant isolé) donne à leurs utilisateurs un avantage comparatif important dans le processus de détermination de la valeur économique du préjudice subi par la victime.

On ne peut que saluer la volonté de l’État de ne pas dépendre de ces solutions techniques et de travailler à la construction d’un outil indépendant, ayant vocation à devenir une référence objective face à la prolifération des initiatives privées et opaques.

Au delà, on ne peut qu’espérer que cet outil de référence sera suffisamment transparent pour permettre aux intervenants de la chaîne judiciaire du préjudice corporel d’en comprendre le fonctionnement et de pouvoir le soumettre à un examen critique permettant d’évaluer sa pertinence au regard de chaque cas particulier.

On notera cependant que cette transparence ne fait, pour l’heure, pas l’objet d’engagement concret du gouvernement comme la mise à disposition publique des sources de l’algorithme, ce qui est, pour le moins, regrettable. Il est difficile d’imaginer que l’État mette en place un outil de chiffrage automatisé dont le mécanisme ne serait pas ouvert à la vérification de tous.

Il faut noter que par une Décision n°2020-834 du 3 avril 2020 le Conseil Constitutionnel vient de réaffirmer que les dispositions de l'article 15 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen imposent un haut niveau d'exigence à l'administration s'agissant de la transparence de ses décisions et de la communication au public des critères sur lesquels elles reposent.

Le Conseil Constitutionnel a ainsi jugé que pour le système PARCOURSUP, les établissements d'enseignement supérieur ne pouvaient s'abriter derrière le secret des délibération pour ne révéler qu'aux candidats malheureux, après délibération, ces critères.

Il enjoint les établissements supérieurs de publier, à l'issue de la procédure nationale de pré-inscription, "les critères en fonction desquels les candidatures ont été examinées et précisant, le cas échéant, dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été utilisés pour procéder à cet examen".

On peut penser que c'est la même logique qui imposera au projet DataJust la clarté des traitements algorithmiques utilisés dès lors qu'ils auront vocation à participer au processus de décision juridictionnel.

Techniquement, la construction d’un algorithme complexe de traitement massif de données passe par l’auto-amélioration du processus de traitement par « entrainement ».

Pour résumer, les processus qui concourent à ce qu’on appelle communément « l’intelligence artificielle » ne consistent pas, comme dans l’algorithmie « classique » à appliquer une série de traitements prédéterminés à des données entrées pour obtenir des données en sortie, mais à automatiser l’intégration de la pertinence des résultats obtenus en sortie pour modifier le traitement des données suivantes.

Chaque traitement de donnée effectué par le programme informatique va légèrement modifier le traitement suivant en intégrant la pertinence du résultat précédent.

Ainsi l’algorithme nourri d’assez d’exemples de jugements associant des données d’entrée (les données du litige) à des données de sortie (le montant alloué à la victime sur les postes de préjudice) va, à force d’essais, pouvoir « deviner » le résultat de sortie le plus probable correspondant à une ou plusieurs données entrées.

L’algorithme ne pourra cependant pas justifier son résultat par une formule de corrélation algébrique entre la donnée d’entrée et la donnée de sortie. Le résultat qu’elle fournira ne reposera que sur la probabilité dégagée par les milliards d’opération de test qui auront été effectués préalablement par l’algorithme.

Un humain se trouvera donc dans l’incapacité de retracer le chemin logique qu’a suivi la machine pour aboutir au résultat. Il pourra par contre vérifier que ce résultat est cohérent par rapport aux jugements déjà rendus en le comparant à des tests aléatoire sur la base fournie.

C’est ainsi qu’une machine peut battre un champion d’échec ou de go, sans que l’on puisse savoir pourquoi elle a considéré que tel coup était meilleur qu’un autre pour arriver à la victoire.

Le paradigme prédictif en matière de traitement de données judiciaire est que si le processus fonctionne sur les données comprises dans la base des données passées, il a de grande probabilités de fonctionner également sur les décisions futures dès lors que les conditions déterminant le jugement demeurent constantes (c’est à dire l’hypothèse d’un droit constant sur une période suffisamment longue).

Construire une machine de ce type nécessite donc une phase d’apprentissage au cours de laquelle le processus mécanique va procéder à des milliards de tests afin de sélectionner les processus de tests pertinents.

C’est cette phase d’apprentissage de l’algorithme que souhaite mettre en œuvre le gouvernement et que le décret en cause encadre.

Dans le cas du projet Datajust, l’outil est censé produire un programme qui permettrait d’indiquer des valeurs probables de postes de préjudices alloués par le juge en fonction des données fournies à la justice par les parties.

Ces valeurs seront considérées tout à la fois comme le reflet statistique de l’activité judiciaire passée et la projection probable de celle à venir.

Ce décret constitue donc une étape liminaire du long travail qui devra être mené avant d’aboutir à un outil à la fois pertinent, fonctionnel et respectueux de la protection des données personnelles.

Le décret n’aborde par les modalités de fonctionnement de l’algorithme lui-même (notamment le processus d’identification et de numérisation des critères d’entrée), encore moins de son utilisation finale (dont la question de la valeur normative des informations produites). Il ne fait qu’encadrer la constitution de la base de données sur laquelle s’exercera le processus d’apprentissage de l’algorithme.

On est encore loin de l’instauration d’un barème d’indemnisation des préjudices corporels.

  • La mise en application concrète du RGPD à un algorithme complexe de traitement massif de données

Ce Décret mérite cependant une certaine attention car il constitue une première tentative d’encadrement concret de la mise en œuvre de tels traitements algorithmiques par les normes protectrices de données personnelles.

  • Les finalités du traitement

L’article 1 du Décret autorise le Garde des sceaux à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel ayant pour finalité le développement d’un algorithme « devant servir » à :

  1. réaliser des études rétrospectives et prospectives en matière en « matière de responsabilité civile ou administrative » ;
  2. Elaborer un barème de référence indicatif d’indemnisation des préjudices corporels ;
  3. Informer les parties pour les aider à évaluer le montant des indemnisations à laquelle elles peuvent prétendre pour favoriser les règlements amiables ;
  4. Informer les juges appelés à statuer sur des demandes d’indemnisation de préjudice corporel.

Le décret entend préciser les conditions permettant à ces traitements d’être conformes aux dispositions de la réglementation européenne sur la protection des données à caractère personnel, récemment introduite dans le droit national.

Cela permet, à tout le moins, d’éclairer les objectifs que le gouvernement vise avec le développement de cet algorithme de traitement des données judiciaires.

Il veut à la fois en faire un outil d’analyse de l’action judiciaire et de prospective pour les services de l’État, mais encore, et surtout, à établir un barème de référence pour les intervenants du processus d’indemnisation des préjudices corporels.

Le gouvernement espère que la pertinence de l’algorithme et sa reconnaissance institutionnelle inciteront les parties impliquées dans ces processus à éviter de mobiliser les moyens du système judiciaire pour les résoudre.

Ce premier article a donc le mérite, par la déclaration des finalités du traitement, de mettre en lumière son objectif essentiellement budgétaire de diminution du coût de l’intervention étatique dans l’encadrement de l’indemnisation des préjudices corporels.

  • La déclaration des données personnelles concernées

L’article 2, respectant au plus près l’esprit de la réglementation RGPD vient encadrer et définir quels jugements qui seront intégrés dans la base de travail de l’algorithme et les données personnelles qui y seront traitées.

On notera une légère confusion du gouvernement entre la définition des données pouvant constituer la base elle-même (certains jugements expurgés de certaines mentions) et les données personnelles de cette base qui pourront être utilisées par l’algorithme.

Sous cette réserve, il est remarquable que le gouvernement prenne le soin de définir, avant toute mise en œuvre des traitements, les informations que les responsables de traitement de données doivent faire figurer dans le registre prévu à l’article 30 du RGPD, qui n’en impose pourtant pas la publicité.

La base de donnée destinée à entraîner l’algorithme Datajust est constituée de l’assemblage des bases de données judiciaires et administratives existantes (limitée à 3 années de jurisprudence). Ces bases sont elle-même constituées des jugements publics occultés des noms et prénoms des personnes physiques ainsi que de « tout élément permettant d’identifer les parties, les tiers, magistrats et les membres du greffe » lorsque cette divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de leur vie privée ou leur entourage.

On pourrait penser ainsi qu’il n’y aurait pas besoin d’un acte réglementaire supplémentaire pour faire travailler un algorithme sur une base constituée de la réunion de ces deux sources.

L’avis rendu par la CNIL sur le projet de décret expose pourtant très pédagogiquement les enjeux de protection de la vie privée que pose le traitement massif des informations contenues dans un si grand nombre de jugements.

Il faut saluer la pédagogie et le sérieux de l’analyse de la commission sur les gardes-fous nécessaires au traitement massif de ces données, surtout lorsque ce traitement est destiné à nourrir l’apprentissage de processus mécaniques visant à produire la norme judiciaire de référence. Encore plus lorsque l’on sait la finesse de recherche que peuvent atteindre ces algorithmes.

  • L’introuvable droit d’information, d’accès et de rectification aux données traitées

On voit cependant aux dispositions finales de ce décret les problématiques posées par l’ampleur des garanties prévues par le RGPD lorsqu’on essaie de les appliquer à un ensemble de décisions judiciaires rassemblant des millions de données personnelles.

Ainsi, un des droits garantis par le RGPD est le droit d’information des personnes dont les données sont traitées de leurs droits à l’égard du responsable du traitement.

Le gouvernement se trouve ainsi dans l’obligation de rendre largement inapplicable ce droits en dispensant l’État d’informer individuellement l’ensemble des personnes (tous ceux dont une donnée personnelle figure dans la base de données).

Le gouvernement n’a cependant pas repris la recommandation faite par la CNIL que le décret prévoit une information générale délivrée par le Ministère et notait l’engagement pris de délivrer une information spécifique aux mineurs.

Par ailleurs, il serait prévu que les greffes informent les justiciables des traitements qui pourraient être faits des données personnelles qui figureront dans le jugement.

On ne peut que regretter que ni la recommandation de la CNIL, ni l’engagement rappelé par l’avis n’aient été repris expressément par le décret.

A défaut de les voir mises en place, on peut douter que le traitement envisagé soit considéré conforme aux dispositions de l’article 14-5-b du RGPD dès lors que la CNIL a identifié dans son avis des mesures appropriées pour protéger ce droit et qu’elles ne seraient pas mises en œuvre.

  • Ce que révèle le Décret de l’écart entre l’idéal réglementaire et la réalité

Quoiqu’il en soit, ce décret est surtout l’occasion de poser la question de l’application des nécessaires garde-fou qui y sont prévus en dehors des services de l’Etat.

En effet, à suivre l’avis de la CNIL et la procédure suivie par le gouvernement, la réglementation RGPD a vocation à s’appliquer de la même manière aux traitements utilisés par l’ensemble des éditeurs qui développent des solutions de recherche sur les bases de données jurisprudentielles.

Au delà de l’encadrement des données elle-même, le processus d’apprentissage, puis de fourniture de résultats à partir d’un algorithme stabilisé font partie des traitements qu’il conviendrait que chaque éditeur puisse exposer clairement et loyalement aux personnes dont les données sont traitées.

Cela risque d’être difficile dans un secteur ou le secret de fabrication des algorithmes constitue une grande part de la valeur de marché des solutions proposées.

Ainsi la méthode de développement choisie pour la base de donnée Datajust, illustre assez bien le fossé entre les exigences de protection mises en place dans notre réglementation et la réalité de ce que le secteur économique en respecte de lui-même.

Le respect de la protection des données personnel, pour essentiel qu’il soit à la protection de la vie privée, engendre ainsi des contraintes fortes sur la production des services algorithmiques.

A défaut d’imposer les même contraintes aux solutions produites par le marché privé, la solution que tente de bâtir le gouvernement se heurtera à la concurrence faussée du marché privée qui risque d’habituer les acteurs à l’utilisation de produits bien moins respectueux de la protection des données personnelles.

On peut légitimement craindre que certaines contraintes techniques posées par le décret rende illusoire que le projet DataJust aboutisse à un algorithme aux performances comparables à ce qu’est déjà capable de produire le secteur privé.

On peut ainsi se demande ainsi à quel objectif répond la limitation à 3 années de jurisprudence pour constituer la base d’apprentissage de l’algorithme. En pratique elle va grandement limiter la pertinence des résultats.

De même, s’il est louable de ne faire travailler l’algorithme que sur un corpus de textes limité par ses finalités, définir cette limite par une phrase aussi floue que « les seuls contentieux portant sur l’indemnisation des préjudices corporels » sans renvoyer à une référence formelle est aussi absurde que la limitation de la licence JSON interdisant son utilisation pour faire le mal...

Le respect du texte adopté nécessiterait que chaque décision des bases jurisprudentielles judiciaires et administratives soient analysées pour déterminer si elle relève ou non d’un contentieux de ce type, ce qui devrait soit relever d’une analyse humaine, soit d’un processus de tri algorithmique qu’il aurait été pertinent de préciser dans le cadre du décret…

Le gouvernement apprend à marcher en tombant, il lui revient de rapidement compléter son dispositif afin d’engager la seconde étape : celle de l’évaluation du fonctionnement de l’algorithme, de la définition des catégories de données et surtout des biais de traitement identifiés, comme le rappelle la CNIL dans son avis.

On le voit, le processus est encore très long d’ici à ce que soit réunies les conditions de la création d’un barème indicatif de préjudice corporel ou d’un accès à des simulations individualisées sur la base de ces algorithmes.

C’est néanmoins le seul chemin possible pour en garder le contrôle collectif dans le cadre de la régulation institutionnelle actuelle.

La longueur et la difficulté du chemin devrait inciter le gouvernement, au lieu de brûler les étapes en publiant son décret en pleine urgence sanitaire, à se donner les moyens de contrôler les opérateurs privés qui procèdent à des traitements obéissant aux mêmes finalités.

A force de laisser ce fossé se creuser, il ne sera pas surprenant d’entendre une ritournelle familière qui comparera les pauvres résultats du processus de construction publique, corseté de pesanteurs réglementaires et le dynamique secteur privé fournisseur d’outils plus efficaces et moins chers...

LE SILENCE DE L'ADMINISTRATION PORTE SUR UNE DEMANDE D'AUTORISATION D'ACTIVITE PARTIELLE VAUT ACCEPTATION

Article 6 de l'Ordonnance n° 2020-386 du 1er avril 2020 adaptant les conditions d'exercice des missions des services de santé au travail à l'urgence sanitaire et modifiant le régime des demandes préalables d'autorisation d'activité partielle

Comme un cheveu sur la soupe, le Gouvernement apporte, à la fin d'une Ordonnance concernant la Médecine du Travail, une précision dans un domaine totalement différent, à savoir un correctif à son ordonnance du 25 mars 2020 suspendant ou prorogeant certains délais.

En effet cette ordonnance prévoit la suspension jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la fin de l'Etat d'Urgence Sanitaire de tous les délais encore ouverts à l'administration pour répondre à une demande qui lui était faite.

Un des grands principes du droit administratif était, en effet, que pour chaque demande faite à l'administration, celle-ci dispose d'un délai impératif pour répondre. A défaut, selon le cas, la réponse sera considérée comme un refus ou une acceptation implicite.

Si on comprend facilement la nécessité, au vu de l'urgence de la situation, de ne pas précipiter les réponses de l'administration, il apparaît que l'ensemble des conséquences de cette suspension n'ait pas été envisagée.

C'est ainsi le cas de la procédure de mise en activité partielle qui est, en principe, soumise à autorisation préalable de l'administration par une décision devant intervenir sous 15 jours.

En l'état, l'Ordonnance permettait à l'administration de prendre le temps nécessaire à l'instruction de la demande, ce qui risquait de prendre un temps démesuré au regard du nombre de demandes et du personnel disponible.

Le Décret prive donc d'effet la suspension des délais prévus par l'Ordonnance. Ainsi, conformément aux dispositions de l'article R 5122-4, al. 5. du code du travail, le silence gardé pendant 15 jours par l'administration sur la demande vaut acceptation implicite de celle-ci.

Il convient désormais de scruter les ordonnances et Décrets à venir afin de savoir si le Gouvernement va s’apercevoir que le problème va se poser de la même façon pour l'homologation des ruptures conventionnelles...

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